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Sainte-Hélène : « Petite... Isle »


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Longueur, 17 km, largeur 10, Ste-Hélène est assurément une « Petite-Isle. »

Concrétion minuscule que seuls, quelques marins, historiens, ou géographes, savent positionner sur un Atlantique sud, lui-même méconnu, sorte de zombie des océans, peu fréquenté, illimité, pervers avec ça, capable de vous faire vite dégringoler vers l’Antarctique où il fait froid.

S’il en est un de ces marins qui connaît bien l’atterrage Hélènien c’est bien le  » Captain of The Royal Majesty Ship Sta Hélèna » qui chaque mois assure la seule communication avec les insulaires et décharge des milliers de litres d’eau minérale anglaise, sans doute pour allonger un trop précieux whisky chasse spleen.
S’il vous dit, le Captain, « 15° 15′ de latitude sud, 5° 45′ de longitude ouest  » vous vous retrouverez à coup sûr devant un massif minéral noirâtre,  » catafalque de rochers  » nous dit Chateaubriand, ce qui est fort bien vu pour quelqu’un qui ne l’a jamais vu. Sorte de mur de la Santé qui serait immergé dans l’océan.

L’empereur fut bien silencieux ; lorsque du pont du Northumberland il découvrit cette île du désenchantement. Un empereur qui, sans doute en bon analyste du terrain, a tout de suite jugé que cette forteresse naturelle était imprenable et que son destin était scellé à jamais dans cette citadelle de basalte.
Le mutisme donc, syndrome de quiconque approche pour la première fois cette cuirasse pierreuse couleur goudron. Syndrome observé par deux fois en décembre 1967 et avril 72 sur l’équipage de la Jeanne d’Arc au moment d’établir un mouillage forain à quelques encablures de Jamestown, la capitale.

Est-ce le front buté de ces falaises, derrière lequel on pressent comme un ressassement de l’histoire, est-ce la perception inquiète d’une force tellurique absurde au point de jeter là un tel caillou,, bref nos jeunes marins m’ont paru aussi pensifs et maussades que du l’être le dimanche 15 octobre 1815 leur arrière arrière grand Empereur

Désirades ou désolations dans cette seule typologie possible des îles que j’ai retiré de mes circumnavigations, le classement est sans appel.
Tout malheur a-t-il sa grâce ?
Sainte Hélène a l’indéniable avantage d’être Terra incognita de « l’homo touristicus. »

Il n’empêche, que notre Marine Nationale incomparable et prestigieuse agence de voyage, ayant le meilleur pignon sur mer, propose parfois cette halte dans son catalogue des ailleurs.
Sans doute, considère-t-on rue Royale et au quai d’Orsay que l’on tient là le lieu idéal pour la formation sur le terrain des élèves officiers et des équipages.
Livre d’histoire, ce rocher tarpéien nourrira de surcroît la méditation philosophique de ces jeunes militaires sur la fortune des armes

En 1967 l’agence poussa le raffinement à nous offrir les services d’un guide culturel.
André Castelot, de l’Académie Française, embarqua à Abidjan, chargé d’éclairer le lugubre rocher des feux de l’histoire, et les lecteurs de France soir de son escapade maritime et insulaire.
Nous verrons qu’il s’acquitta de sa chronique de presse avec un lyrisme auquel ne sont guère habitués les gens de mer chez souvent taiseux, façon Tabarly.

En 1972 mieux encore, c’est carrément Bonaparte, enfin presque, en la personne de son très arrière-petit-neveu, descendant du prince de Canino, alias Lucien Bonaparte, qui au Cap prit passage à bord .
On admirera à cet égard le flegme de Sir Thomas Oates gouverneur de l’île qui sans sourciller réserva le meilleur accueil à ce tiercé gagnant de l’anglophobie que sont Jeanne d’Arc, Bonaparte, et… la Marine Française !

Rébarbative au regard, Ste-Hélène l’est autant au… pied, qu’il est acrobatique de mettre à terre!
Quelques marches glissantes taillées dans le roc, une corde de chanvre tendue en surplomb, un pied donc sur la chaloupe ballottée par un fort ressac, l’autre dans le vide, espérant trop de la marche perverse, avec une gestuelle digne de Chita rejoignant Tarzan (ou l’inverse).
Pour corser l’exercice, il se pratique souvent pour l’état-major, en tenue de cérémonie, avec sabre, gants blancs et tout le saint-frusquin requis pour une visite officielle au Gouverneur. (On avouera que les hélicoptères du bord dans les cas extrêmes sont mis à contribution: ainsi pour l’Académicien Historien et l’arrière petit-neveu Bonaparte…)

Bien moins agiles sont généralement nos hôtes qui doivent regagner terre à l’issue du traditionnel cocktail donné à bord.
Est-ce le nomadisme des marins appelés à connaître d’autres horizons qui crée un désarroi de l’âme chez ces îliens de longue détention, est-ce le champagne offert à profusion aux sujets de sa Gracieuse Majesté, non sans une perfidie (pour une fois française) de la marine; les salves de bouchons de champagne répliquant à la canonnade de Trafalgar, bref le taux d’alcoolémie monte à des hauteurs telles que… la descente de l’échelle de coupée, l’embarquement dans les chaloupes et l’atterrissage sur la marche hypocrite font oublier l’aventure deTarzan pour celle moins aérienne et plus humide du … Titanic.


Bref, tel un théorème, on dira que les paramètres précédemment décrits conjugués à l’âge affirmé, non du capitaine, mais de ses invités conduisent inexorablement au résultat dit de  » l’homme à la mer « . Dans le cas présent, plus généralement,… la femme.


Perfide, donc prévoyante, cette même Marine maternera ses invités avec un raffinement et une prodigalité égales à celles qu’elle aura mis à les désaltérer. Elle sait combien les cordées de ladies embrumées quittant le bord sont inquiétantes. Aussi le commandement ne pourra-t-il que s’inspirer de Saint Bernard patron des alpinistes.


Le bon gros chien flanqué de son tonnelet de rhum n’étant, en l’occurrence guère adapté à la situation, le rhum notamment, ce seront deux hommes-grenouilles (et qui en ont sûrement mangé.) qui, pour rester dans la gent animale, joueront les Labrador alias on le sait, Saint Bernard des mers.

Ces hominiens, à la fois, marins, hommes, chiens, grenouilles, et mangeurs de grenouilles barboteront donc en permanence dans l’eau au moment du départ des invités.
Témoin oculaire j’ai pu vérifier, l’exactitude du théorème susdit, une lady tombée à l ’eau en quittant le bord : scène fellinienne traitée à l’anglaise ; la dame plutôt fil de fer que gélatine, et d’un âge canonique se débattant dans des eaux noires enlacées par des êtres caoutchouteux et palmés, hurlant de détresse, quoique….

Autre vision poétique voire cynégétique : le couvre-chef du gouverneur emporté par le vent, casque ovoïde de « bobies » empanaché de superbes plumes blanches et qui dérivant au fil de l’eau semblait jouer les appeaux, histoire, faute de canards et de palombes, d’attirer les goélands.

Mettre pied-à-terre pour un marin est le symétrique de tâter l’eau pour un terrien .
Depuis l’Odyssée, on sait que l’approche d’une terre rend circonspect.
Il en est comme de la baignade, mieux vaut supputer la température d’une escale pour ne pas être saisi par ces chauds et froids du sentiment envers la France dont on sait qu’ils varient au gré de notre politique étrangère et… nucléaire.

En 1967, l’eau fut…. bouillante.
Accueil délirant : Pour preuve : Le titre d’une des chroniques d’André Castelot dans un quotidien du soir à grand tirage : Les femmes de Sainte Hélène suppliants les marins Français : « faites nous des enfants, faites nous des enfants! »
« Messieurs les Anglais que ne tiriez-vous pas les premiers » aurait pu répondre avec pudeur, courtoisie ou tempérance nos jeunes matelots qui, dans la bagatelle, savent pourtant porter pavillon haut, si l’on ose dire…
Ce que l’on qualifiera comme  » l’appel de Ste Hélène  » loin d’une quelconque frustration féminine n’était en fait que le cri primal de survie de ces 4000 îliens, tous cousins, face au ravage de la consanguinité
Bon sang ne sachant mentir, la Marine Française répondra donc à la supplique, mission humanitaire originale qui scella une nouvelle alliance (proprio motu) franco-anglo-hélènienne.

Quant à M. Castelot, sa vigueur se portant plutôt sur la plume de son stylo, dopé sans doute par l’air iodé de l’océan, gratifia-t-il d’autres de ses chroniques de titres tout aussi impressionnants.
Ainsi, le fidèle lecteur métropolitain apprenait-il que  » La Jeanne d’Arc était attaquée par une horde de sous-marins « . La page suivante révélait en petits caractères qu’il ne s’agissait que d’un exercice de pure simulation, nos seuls poursuivants n’étant en réalité que des poissons volants sans aucun doute très proches cousins de la belle sardine qui barre le port de Marseille.

Attaque sous-marine écartée, accostage maîtrisé, Hélèniennes … honorées, il est enfin possible de découvrir ce qui n’aurait dû être qu’un petit postillon géographique du créateur projeté sur l’Atlantique avec autant d’effet qu’une goutte d’eau sur la mer.


Seulement voilà notre petite île comme par capillarité devait attirer le plus célèbre des insulaires de naissance et s’ériger par là-même du dérisoire géographique à la célébrité mondiale

Au demeurant, cet îlot est-il si insignifiant, avec sa chaîne de montagnes volcaniques qui culmine à 800 mètres d’altitude et ne provient il pas du plus ancien de la planète…
Son climat ne laisse pas non plus indifférent, du moins pour les historiens et les visiteurs dont les avis divergent.

Les premiers ont la supputation météorologique fort dépressive, la tragédie de l’exil ne pouvant baigner que dans une moiteur suffocante, une humidité putride, la pluie et le crachin… Climat donc débilitant propre à favoriser une impériale mélancolie que le romantisme d’alors aura su amplifier.

Le romantisme, le cédant au réalisme, le visiteur, lui, saura relativiser ce qui somme toute n’est qu’un climat irlandais en tenue coloniale, sans saisons, où alternent pluie et soleil avec une chaleur fort supportable pour qui, comme le marin ne porte pas la redingote mais arbore short et tenue blanche si adaptée aux climats équatoriaux.

On accordera que Longwood, situé à 500m d’altitude avec 10° de différence avec Jamestown, affronte en permanence un vent de sud-est, aigre, chargé d’une humidité poisseuse aussi accablante pour l’homme que, nous le verrons, pour l’habitat.

Nous avons dit  » découvrir  » : Le terme est mal choisi.
Plus rien de nouveau désormais sous le soleil des satellites. Leurs regards impudents ont totalement déshabillé notre planète qui jusque-là offrait encore ces quelques retenues qui faisaient le délice de l’explorateur ou du poète.

De l’érotisme géographique, on est,en quelque sorte, passé à la pornographie, celle du tourisme glouton qui croit encore  » découvrir  » ce que les agences de voyages qualifient de « nouveaux paradis », « aventures nouvelles », « pays secrets », « trésors cachés », et qui dégagent dans leur banalité répétitive le même malaise et ennui que la vision d’un film classé X, sans même le secours du cryptage avec son effet affriolant de déshabillé en résille.

Laissons donc le mot « découvrir » en pâture aux publicités touristiques. D’ailleurs tout représentant de la France en voyage officiel ne découvre pas: Il « visite ».
Véritable rite d’ailleurs que le protocole multi séculaire de la marine organise en une sorte de ballet plein d’aménités et de révérences avec la visite aller aux autorités locales voire nationales suivie , dans l’heure, de la
visite retour de ces mêmes excellences. Ce qui épuise un peu gestuelle et conversation.
Heureusement la contemplation mutuelle d’uniformes toujours nouveaux, parfois dignes du châtelet, la débauche de képis, casquettes, plumets, l’éclat kaléidoscopique des sabres (parfois des goupillons…) et le reflet d’impressionnantes batteries de décorations, rehaussé par des soleils tropicaux, permet de composer avec des silences pesants, lot d’ailleurs de bien des rencontres officielles
Pour poursuivre dans la liturgie, il faut savoir que toute escale à Sainte Hélène diligentée par notre marine nationale implique trois génuflexions sur ce chemin de croix de l’histoire impériale.

Première station incontournable, protocole oblige, la visite au lointain et débonnaire successeur de cet « ante gentleman » sans éducation à l’esprit petit et inquiet que fut Hudson Lowe.
En fait l’empereur ne se rendit jamais à Plantation house la toujours actuelle résidence du représentant de sa très gracieuse Majesté.

Il n’empêche, Jonathan gigantesque tortue qui vous accueille sur la pelouse serait, dit-on, contemporaine de l’illustre prisonnier et à ce titre mérite, sans doute pas génuflexion, mais, au moins, comme son maître, le gouverneur au couvre chef très emplumé, salut des plus militaire.

On saluera aussi dans la bibliothèque le portrait d’un Napoléon qui fair-play britannique figure parmi ceux, officiels, des souverains du Royaume-Uni, avec espérons-le, le même effet sur les mânes du « triste Sir » Hudson Lowe que l’œil d’Abel sur son frérot.

Deuxième station : La France: Certes aucun poste de douane mais un consul , nous le verrons, hors du commun, pour nous accueillir sur le territoire de Longwood ( 1 hectare) que la reine Victoria donna à Napoléon III.
Cet abandon de souveraineté qui sent l’acte notarié portant sur « le terrain formant le site du logement de Longwood avec la maison, les dépendances et le terrain formant le site de la tombe  » dans la vallée mal nommée des géraniums, chrysanthèmes aurait été plus approprié.

Longwood house donc et qui laissa atterrés les compagnons de l’Empereur lorsque, le dimanche 16 octobre 1815, ils découvrirent cette sorte de cahute que tropiques et anglicisme aidant, on appellera bungalow.
Manifestement l’Empereur était au sens propre mis en cabane.

A vrai dire, comme pour le climat, deux écoles se disputent la vision de Longwood House.

Les « misérabilistes » tel Lord Rosebury, qui dans son  » Napoléon, la dernière phase » ne retient « qu’un agglomérat de baraques pour servir d’abri aux bestiaux ».

On leur opposera les « relativistes » auxquels je me joins, qui, pour déjouer la mélancolie qu’inspire un tel lieu, prêtent somme toute, à cette bicoque désormais entourée d’un parc soigneusement entretenu, un cachet italianisant avec sa couleur ocre rouge éteinte qui, conjuguée au vert dégradé des jardins, n’est pas sans rappeler les frottis de Giotto et des maîtres du trecento.

Quant aux dimensions, cela tient de la maison de poupées ou de ces boîtes de carton que les enfants aménagent pour y voir circuler hannetons et autres insectes.
Tout est minuscule, et même en comptant les communs, comment près de cinquante personnes ont-elles pu s’accommoder d’une telle exiguïté ?

Les marins savent rationaliser l’espace, le hamac étant moins encombrant que le lit à baldaquins.

Pour les anciens de la Grande Armée c’est sans doute l’habitude du bivouac qui leur permit de supporter de tels quartiers.
Six pièces principales donc, distribuées en T avec ce que Napoléon appelait  » son intérieur  » : sa chambre flanquée d’une modeste salle de bains et un cabinet de travail.
Viennent ensuite salle à manger et bibliothèque.
Perpendiculairement on trouve enfin, le salon, une antichambre transformée en salle de billard et, signature de la plupart des reproductions de Longwood, le treillage de bois vert amande de la véranda.

Mes deux visites à quatre années d’intervalles m’autorisent à témoigner de la qualité et de la permanence de l’entretien fervent et méticuleux prodigué à ce musée austral par les consuls de France, Messieurs Martineau père et désormais fils.

La marine, elle aussi, a joué un rôle non négligeable dans le sauvetage de Longwood. qui à la veille du premier conflit mondial était dans un état tel, que le Commandant de la Jeanne d’Arc d’alors fit un rapport convaincant sur l’urgence des travaux à effectuer et sur la nécessité, vu le climat, de repeindre chaque année cette maison en bois.

On retrouve ici le tropisme du marin pour qui tout doit être peint sauf selon l’adage, ce qui bouge…
Philosophe au demeurant, le marin, témoin de la loi Nietzschéenne de l’éternel retour, sait que la peinture de la poupe à peine achevée, il faut de nouveau attaquer la proue et inversement.
Artiste aussi, proche de Cézanne, son navire étant sa Ste Victoire, sur lequel il tentera, à longueur de carénages, toutes les nuances du gris, pour conclure comme Klein, qu’en fin de compte il n’est d’art que monochrome.

Il faut enfin savoir que pour accueillir son illustre pensionnaire, Longwood fut aménagée par des charpentiers de marine qui en bons calfats eurent tôt-fait de goudronner la toiture.
Face au vent humide qui déferle sur elle à longueur d’années, Longwood issue de la marine en bois, requiert donc un entretien digne des vaisseaux de Nelson.

Longwood, navire donc, bateau ivre de l’Histoire, perdu dans les bruines subéquatoriales et qui depuis bientôt deux siècles n’en finit pas de trouver « l’aube navrante, la lune atroce, et le soleil amer. »

A navire fantôme, capitaine énigmatique, c’est ainsi que m’est apparu Gilbert Martineau, seul maître à bord, consul anachorète, qui voua à cette maison une grande partie de sa vie.
Étonnante destinée que celle de cet ancien frère d’armes, officier de marine issue des Forces Navales Françaises Libres, promis à un avenir brillant dans le monde littéraire et qui en 1956 choisit cette trappe australe. pour y cultiver l’histoire et, le cadre aidant, une sorte d’esthétique Byronienne du désenchantement.
Ce consul, marin, conservateur, homme de lettres et sans doute « géopoète » qui, refusant le siècle, choisit, sorte de Charles de Foucauld de l’historiographie, la règle de Longwood, est sans aucun doute personnage de roman ou du moins d’une biographie qu’il reste à faire.

Ce sentier de l’histoire, qui serpente dans un paysage où au gré de l’altitude, un triste tropique le céderait à l’Ecosse, ne pouvait trouver son terme qu’en un lieu au demeurant propice aux conclusions : la tombe impériale, simple dalle de pierre abritant une sépulture virtuelle.

Une sorte de « copier coller » du protocole, qui veut que chaque escale à Ste Hélène reproduise au bouton de guêtre près le rituel immuable de la précédente, aligne donc gouverneur, consul, officiers, équipage devant ce cénotaphe, sous l’ombre des auriacas, plantés d’ailleurs par des midships lors d’anciennes escales.
On notera à cet égard la fidélité magnanime de ces marins qui ont su pardonner à Napoléon de vouloir faire manœuvrer les escadres comme des régiments avec les résultats que l’on sait.

La musique de la Jeanne d’Arc qui peine à déchiffrer les hymnes militaires du monde entier se repose enfin sur le tempo assez lent d’une marche consulaire. L’aumônier du bord et le pasteur de l’île accompagnés d’un chœur improvisé de matelots entament la prière des morts qui, devant ce tombeau vide, s’envole, tournoie et se perd dans l’alizé aigre qui se joue aussi des plumes du gouverneur et des cols marins.

Novembre 1967. Baie de Jamestown.
Le clairon rappelle au poste de manœuvre, rigaudon porté par les eaux calmes de la baie de Jamestown et que temporisent et renvoient les austères falaises de l’île.
Le frottement de la chaîne dans l’écubier fait tressaillir le navire comme s’il pressentait l’imminence du départ. Cap affiché : Les Amériques, espérance de l’Empereur confisquée après Fontainebleau.

Une giflée de vent marin fouette la passerelle, la machine ronronne.
Ste-Hélène s’estompe, et la croix du sud s’allume.

L’historien de retour dans sa cabine annote, une fois de plus, le Mémorial, son livre de chevet.
Le marin, lui, qui sait que la surface de la mer ne retient aucun sillage, a l’âme vagabonde.
Le consul, veilleur d’épopée, a repris son quart sur Longwood, où selon Chateaubriand fut rendu à Dieu « le plus puissant souffle de vie qui jamais animera l’argile humaine ».

Désormais seul l’océan occupe le regard d’un jeune enseigne rêveur qui, les yeux tournés vers l’ouest, pressent derrière l’horizon sa première rencontre avec le nouveau monde.


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