Menu
Fermer

L’orientation sexuelle

Lecture du 5 avril 2012
par M. le professeur André Bès

Découvrir les autres lectures

Environ quatre-vingt dix pour cent des humains sont attirés sexuellement par le sexe opposé, et dirigent vers lui leur intérêt érotique, leurs pulsions, leurs pratiques. La raison biologique qui paraît évidente est la reproduction, puisque nous avons choisi, à tort ou à raison, la reproduction sexuée dans l’évolution de la vie sur terre…
Nous possédons beaucoup d’informations sur le mécanisme de cette orientation sexuelle, car il ne diffère guère de celui qu’on peut à loisir étudier chez l’animal, et nous sommes à cet égard très peu différents des mammifères en général. L’animal fait état cependant d’une évidente dépendance biologique, gênes et surtout hormones règlent étroitement ses comportements sexuels. L’être humain s’est largement, mais non totalement, libéré de cette tyrannie hormonale, et nombre d’autres facteurs interviennent dans ses préférences et dans son activité sexuelle. Nous ferons observer que le terme d’orientation sexuelle a une connotation plus biologique, déterministe, que celui de préférence sexuelle, qui laisse une plus grande part à des facteurs personnels cognitifs et affectifs, et plus de place à un choix.

Lors qu’on s’engage dans cette nébuleuse de la Sexualité, passionnante à bien des égards, on ne peut manquer de faire la remarque suivante : qu’est-ce qui amène 10 pour cent de nos congénères à prendre résolument un autre chemin, et à porter leur choix, exclusivement ou de manière largement prépondérante, sur des sujets du même sexe ? Où est l’origine de ce comportement « atypique », terme plus adéquat que déviant ou anormal ? Quel est son conditionnement au sens large ? C’est une des occasions les plus intéressantes d’aborder concrètement le problème de l’inné et de l’acquis, de ce qui est dans nos gènes et de ce qui vient de l’ambiance socioculturelle, et de l’éducation plus précisément.
Prenons comme base de documentation un livre récent, celui du Pr. Jacques Balthazart, dont le titre explicite est : Biologie de l’homosexualité, « On naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être ». Autant dire d’emblée que l’auteur, dont les experts soulignent la grande compétence et le talent didactique, annonce sa certitude : l’homosexualité est largement déterminée par des facteurs génétiques et hormonaux, ce n’est pas véritablement un choix de vie. Puis nous verrons, à travers un deuxième ouvrage, une thèse diamétralement opposée : c’est la société, sa culture, sa pression, qui formate l’individu, qui le conditionne dans son rôle masculin ou féminin, le sexe génétique étant peu de chose à coté de la contrainte éducationnelle .Ce sont les ratées dans la maturation sexuelle de l’enfant, plus les avatars de l’existence qui font de l’homosexualité un choix de vie. La psychanalyse, depuis plus d’un siècle, a exprimé et conforté, on pourrait dire imposé, cette approche psychogène.

Ce problème n’et pas exclusivement théorique : dans une deuxième partie, nous verrons un impact dans le quotidien le plus sensible : comment expliquer l’homosexualité aux adolescents, comment rédiger les livres scolaires, comment un conflit dans le microcosme de l’Education nationale se trouve-t-il articulé avec un mouvement d’idées. Beaucoup plus large, la théorie du genre, qui serait pour certains capable de saper les fondements mêmes de notre société ! Je vous invite donc à une réflexion sociologique et philosophique, non à un cours de biologie ou de médecine. Mais nous devons passer par un pré-requis, que je tâcherai de rendre aussi peu technique que possible.
Avez-vous vu votre génome ? Chacune de vos cellules contient 23 paires de chromosomes, 22 sont faites de chromosomes identiques, mais la 23ème, chargée du déterminisme sexuel, est dysmorphique : 1 chromosome Y vient de la mère, de l’ovule, le chromosome Y vient du spermatozoïde, du père. Il existe sur le chromosome Y un gène, le gène SRY, qui détermine le sexe de l’embryon. S’il est présent, l’évolution de l’embryon se fait vers la formation d’un testicule, la sécrétion de testostérone, et l’organisation sexuelle mâle. Si SRY n’est pas présent, ou inactif, l’évolution spontanée se fera vers la féminité qui est, sans connotation péjorative, le sexe « par défaut ».
A-t-on trouvé le gène de l’homosexualité ? Ce serait évidemment l’argument ultime. En 1993, un chercheur de renommée internationale, Dean Hamer, étudie 40 paires de frères homosexuels et affirme que la plupart d’entre eux possèdent 5 marqueurs communs sur la partie terminale du chromosome X (dans la région Xq 28). Ces résultats sont confirmés dans deux études ultérieures, mais non dans une quatrième (Rice et coll.). Il est fort probable qu’il n’y a pas un seul « gène gay », mais un ensemble de gènes, dont certains sont d’ailleurs répartis sur d’autres chromosomes a priori non sexuels. Ce problème est difficile méthodologiquement ; à noter que les recherches se focalisent plutôt sur l’homosexualité mâle que femelle, simplement du fait que chez la femme les limites de l’homosexualité exclusive sont plus difficiles à tracer.
Personne n’admet par ailleurs qu’un gène, ou même des gènes puissent avoir un effet déterminant, il s’agit seulement d’une prédisposition, les facteurs environnementaux, culturels et psychologiques prenant évidemment une part de responsabilité. La recherche des gènes favorisants ou responsables de l’homosexualité reste cependant très active, bien que les milieux homosexuels soient les premiers à demander pourquoi cette obstination. En effet, certains seront peut-être déculpabilisés par une découverte leur ôtant en quelque sorte la pleine responsabilité de leur orientation sexuelle. Mais bien d’autres revendiqueront leur choix, et ne veulent pas être considérés comme des malades, victimes de la génétique, la notion d’hérédité ayant été dès le début associée à des maladies aisément repérables, comme l’hémophilie ; « drôle de cadeau », disent plusieurs blogs d’homosexuels, que de nous stigmatiser comme malades et tarés !
Le cerveau gay est-il différent, morphologiquement ou fonctionnellement, du cerveau de l’hétérosexuel ? Voilà bien un domaine de recherche compliqué, un sol mouvant sur lequel il convient d’avancer prudemment ! Le postulat est le suivant : il existe bien des différences, et l’hypothèse avancée est qu’un déficit de masculinisation, un défaut d’imprégnation hormonale mâle pendant la vie fœtale, rapprocherait le cerveau de l’homosexuel mâle de celui de la femme, et inversement pour les lesbiennes, qui auraient été trop masculinisées.
On sait combien il est difficile et discuté de valider des différences entre cerveau et féminin, et si l’on s’accorde sur quelques-unes au plan morphologique, la résistance est farouche lorsqu’on tente d’homologuer des différences dans les aptitudes cognitives entre les deux sexes, tant persiste l’obsession de voir la Science venir soutenir l’inégalité homme-femme ! Il est plus difficile et périlleux encore de faire un travail analogue, en vue de différencier homosexuels et hétérosexuels.
Nous ne citerons qu’un exemple, à prendre avec précaution : il y a tout de même chez l’humain une structure aisément mesurable, le corps calleux, qui est nettement plus gros chez la femme que chez l’homme, ce qui a d’ailleurs été mis au crédit du sexe féminin, parce qu’ainsi serait favorisé chez ces dernières un meilleur transfert d’informations entre les deux hémisphères, partant une meilleur aptitude à effectuer des tâches simultanées. Or, le corps calleux est plus volumineux chez l’homosexuel mâle que chez l’hétérosexuel, ce qui le rapprocherait ainsi du cerveau féminin. Il est très délicat de passer sur le versant cognitif et comportemental, mais certains chercheurs le font : on a prétendu que certaines aptitudes langagières seraient plus développées chez la femme que chez l’homme, elles le seraient également chez l’homosexuel masculin par rapport à l’hétérosexuel. Les aptitudes aux mathématiques de haut niveau donneraient la situation inverse : meilleures chez l’homme que chez la femme, l’homosexuel mâle étant en cela plus proche de la femme, et moins doué que l’hétéro… Alors, histoire de plaisanter, y a-t-il plus d’homosexuels mâles au Barreau et moins à Polytechnique ?

Pour en revenir à la responsabilité de la génétique et de l’hérédité, on a également invoqué des arguments épidémiologiques, d’ailleurs très impressionnants, un des plus forts est l’étude des jumeaux, montrant une différence statistique majeure entre vrais jumeaux (univitellins) et faux jumeaux qui n’ont pas le même patrimoine génétique mais ont été soumis aux mêmes imprégnations hormonales durant la grossesse, au même déterminisme hormonal prénatal ; de grandes cohortes rendent ces travaux incontournables. Quelle est l’orientation sexuelle du vrai jumeau lorsque l’un est homosexuel ? Dans 30 à 50 pour cent des cas, le jumeau est également homosexuel ! C’est un gros argument, sinon pour l’origine génétique stricte, du moins pour un facteur biologique, non éducationnel.
L’étude des arbres généalogiques est aussi un moyen de cerner une responsabilité génétique : elles ont montré dans plusieurs études que l’orientation sexuelle chez l’homme avait tendance à se transmettre par voie maternelle. Un homosexuel mâle a une probabilité accrue d’avoir des homosexuels masculins plus nombreux parmi ses ascendants du coté maternel que du coté paternel ; la situation est moins évidente chez les lesbiennes, mais du même ordre. Hélas, la mère est encore impliquée, en dehors de la psychanalyse, mais sans aucune responsabilité personnelle bien sûr : elle est simplement vectrice du chromosome X !
L’effet des frères plus âgés est déroutant, mais bien établi : il existe une corrélation forte entre la probabilité de devenir homosexuel chez un garçon, s’il a des frères plus âgés, et d’autant plus qu’ils sont nombreux. Le 4ème garçon dans une fratrie aurait 33 % de chances, contre 10 % dans une population de référence. On invoque un phénomène d’immunisation progressive de la mère contre le fœtus masculin qu’elle porte, un peu comme avec le facteur Rhésus, bien connu.

Le livre de Balthazart est une somme impressionnante à l’appui de sa thèse ; l’homosexualité n’est pas un choix de vie, elle est sous la dépendance d’une composante biologique forte, gènes et hormones, qui sont largement responsables de l’orientation sexuelle. Autrement dit, pour lui, beaucoup d’inné et peu d’acquis. Deux remarques :
– ce déterminisme n’est pas absolu bien sûr, le rôle de l’environnement socio-éducatif et du parcours personnel ne saurait être exclu.
– L’imprégnation hormonale est prénatale, sur l’embryon : chez l’enfant, chez l’adolescent et plus tard, les taux d’hormones circulantes sont normaux, il n’est plus possible de modifier l’orientation sexuelle par quelque traitement hormonal que ce soit, contrairement à ce que l’on a tenté de faire à certaines époques … D’ailleurs, on ne traite pas l’homosexualité, ce n’est pas une maladie !
En transition avec ce qui va suivre, voyons notre auteur passer à l’attaque : dans le chapitre « Arguments suggérant une indépendance de l’homosexualité vis à vis du milieu éducatif », il mentionne que dans certaines ethnies de Polynésie, des pratiques homosexuelles rituelles sont imposées aux garçons adolescents sans que cela ait d’influence sur le taux d’homosexualité dans leur vie adulte. Mais comment ne pas rappeler l’observation historique de « Brenda », qui souligne, hélas, avec d’autres, que l’éducation reçue dans la petite enfance n’est pas à même de déterminer l’orientation ni l’identité sexuelles, si l’on se hasarde à aller contre le sexe génétique : deux vrais jumeaux canadiens, au début des années 60, sont opérés d’un phimosis à l’âge de 7 mois …, et l’un d’eux, Bruce, est amputé de son pénis par une électrocoagulation catastrophique ! Un sexologue expert de réputation internationale conseille de transformer Bruce en fille, ce qui est techniquement assez facile. Bruce devient Brenda, copie sa maman, joue aux jeux de filles, on a l’impression d’une féminisation réussie… Il n’en est rien : à 15 ans, Brenda se fait appeler David, demande à être opéré afin de retrouver si possible son identité masculine ; il est attiré par les femmes, se marie. On apprendra plus tard qu’il s’est suicidé, et on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a là une forte responsabilité de cette histoire aberrante, qui illustre dramatiquement la difficulté persistante à comprendre et à régler les problèmes d’orientation sexuelle atypique. S’il s’agit des malformations avec ambiguïté sexuelle à la naissance, quel sexe déclarer légalement ; et dans un domaine un peu différent qui demanderait un exposé dédié, que faire face à la demande d’un transsexuel, désirant, homme, devenir femme, ou l’inverse ? Notre société évolue vers une permissivité difficilement envisageable il y a seulement 50 ans, c’est tout à son honneur, mais où s’arrêtera la liberté de se choisir ?
Voyons donc maintenant, à travers l’ouvrage du Docteur Clerget, au titre explicite « Comment devient-on homo ou hétéro » : sa position, qui fait essentiellement de l’homosexualité un choix de vie, est le résultat d’une éducation : de l’acquis donc et peu ou pas d’inné…
Le livre comporte dans une première partie une revue des principales études scientifiques dont nous venons de parler, mais aux mêmes faits sont données des conclusions opposées ou qui en modifient gravement la portée : la fameuse étude des frères plus âgés par exemple est mise en doute alors qu’elle est pour les scientifiques une des données les mieux établies, par le recoupement de trois études indépendantes. C’est le dénigrement systématique des faits biologiques qui met en fureur le Dr. Balthazart. Pour le Dr. Clerget, par conséquent, le rôle du sexe biologique est mineur ; ce qui compte c’est l’acquis, le modelage du psychisme du jeune enfant, dès les premiers mois de la vie, par les parents, puis l’éducation et la société. Ce formatage aboutit normalement à l’hétérosexualité dominante, mais l’homosexualité peut résulter de nombreux avatars personnels, sans d’ailleurs qu’on puisse considérer cette évolution vers l’homosexualité comme pathologique…
Nous n’allons pas nous étendre ici sur les différentes phases de la maturation sexuelle du jeune enfant, passant de la phase orale, anale, puis génitale, à la période critique du fameux Œdipe, vers 3 à 5 ans, bien avant l’orage sexuel de la puberté. L’homosexualité résulterait selon Freud d’un blocage du développement psycho-sexuel normal. A noter d’ailleurs qu’il n’a pas donné initialement une place importante au phénomène dérangeant de l’homosexualité, considérée d’abord comme une anomalie, voire une perversion. Depuis, les post-freudiens ont beaucoup écrit et évolué, mais toujours avec les mêmes contraintes : il s’agit d’observations, d’histoires individuelles interprétées à la lumière des quelques dogmes intangibles, et en adoptant les codes convenus : le grand public connaît l’angoisse de castration, la petite fille qui envie le pénis de son père, l’imbroglio de l’Œdipe, etc.… Le discours n’est nullement scientifique, il s’agit d’un canevas imposé, et tout en reconnaissant l’intérêt de la pensée freudienne qui a eu une telle influence sur la psychologie et la médecine pendant plus d’un siècle, il faut sans doute sortir maintenant de l’impasse. On peut lire sur ce sujet les ouvrages de Michel Onfray, qui met sa plume acérée au service d’une critique trop systématique, mais la pensée unique finit toujours par susciter de saines résistances, et parfois une révolte.
Voici deux sentences significatives de la position de Stéphane Clerget, psychanalyste et manifestement très impliqué dans le débat : « L’homosexualité ou l’hétérosexualité, c’est dans la tête des parents », qui modèlent l’orientation sexuelle de l’enfant à leur guise ? Autre chapitre : « Comment les parents fabriquent une fille, un garçon… ». Et, plus massif encore : « L’homosexualité c’est comme tout, ça s’apprend.. ». Bien sûr, qui nierait le rôle de l’éducation, mais pourquoi rejeter une prédisposition, la part de l’inné, et même un facteur biologique déterminant ? Comment expliquer qu’à travers les époques et les sociétés la proportion d’homosexuels reste globalement la même ? Pourquoi dix pour cent de ces individus choisiraient-ils de se marginaliser, et même de s’exposer au pire dans les sociétés répressives ? Pourquoi des adolescents, qui perçoivent à l’évidence, en quelques mois ou années, que leur intérêt sexuel, érotique et affectif, va justement et exclusivement vers leur même sexe, pourquoi choisiraient-ils cette homosexualité difficile à assumer et douloureusement ressentie par nombre d’entre eux ?
Ne vaudrait-il pas mieux accepter et proclamer une bonne part de bio-déterminisme, et faire admettre par l’intéressé et par son milieu que l’homosexualité est une variance minoritaire mais normale de l’orientation sexuelle, un peu comme il y a des droitiers majoritaires et des gauchers, au milieu des ambidextres.
En tout cas, la psychanalyse, avec son incroyable succès, en relativisant l’importance du sexe génétique dans les choix d’orientation sexuelle, en donnant la priorité aux milieux socioculturels et au choix de l’individu a ouvert la voie à un mouvement d’idées d’importance considérable, la théorie du genre.
Une petite tempête a agité récemment le monde de l’éducation nationale et des parents d’élèves, avec immédiatement un prolongement politique. Le 30 septembre 2010, une circulaire émanant du ministre de l’Éducation nationale demandait aux enseignants des classes de 1ère L, d’inscrire dans le programme de SVT (sciences de la vie et de la terre) un chapitre intitulé « devenir homme ou femme ». « L’enseignant saisira l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société appartenaient à la sphère publique, l’orientation sexuelle, elle, fait partie de la sphère privée. » Tous les analystes s’accordent sur le fait qu’il s’agit avant tout d’aborder la question de l’homosexualité. Le Père Laurent Lemoine considère cette circulaire comme « une demande perfectible de lutter contre l’homophobie… le ministère veut donner aux enseignants des outils théoriques pour éviter la stigmatisation de l’homosexualité, qui est une des premières causes de suicide chez les adolescents. » Mais peut-on lutter contre l’homophobie sans relativiser l’hétérosexualité et en faire une simple construction socioculturelle ? Certains s’y hasardent et un enseignant chercheur écrit : « il faut cesser de présenter l’homosexualité comme étant la seule sexualité imposée par la nature normale, naturelle et légitime, il faut détruire les stéréotypes de sexe, et mettre en question l’injonction à l’hétérosexualité.
L’émotion, peut-être excessive, gagne les milieux de l’enseignement catholique, et dix députés de l’U.M.P. et de la droite populaire demandent au Ministère de modifier l’esprit de ce texte et de faire retirer les manuels scolaires traitant de ce sujet. Le Ministre se défend d’avoir droit de vie ou de mort sur ces ouvrages et renvoie la responsabilité aux rédacteurs ainsi qu’aux explications de l’enseignant en cours, le livre n’étant après tout qu’une documentation pédagogique.
Les quatre principales maisons d’édition dans le domaine traitent le chapitre en question dans une grande diversité de ton et d’interprétation. Un seul libraire, Hatier, consacre un paragraphe à la théorie du genre. Alors, cette crainte est-elle du domaine du phantasme ? À noter toutefois que des sociologues, qui connaissent mieux son histoire, redoutent que cette théorie du genre puisse avoir une influence pernicieuse chez les jeunes, à la période la plus critique, celle où s’affirme la sexualité définitive, et pensent que les confronter à une théorie présentée comme une vérité scientifique est un abus, susceptible de perturber la majorité sous prétexte de rassurer ceux qui se sentent appelés par l’homosexualité.
La théorie du « gender » est un mouvement idéologique puissant, né aux États-Unis dans les années 60, dans le sillage du livre de Simone de Beauvoir : il s’agit d’un mouvement de revendication féministe beaucoup plus radical, qui va évoluer vers un féminisme de combat. L’objectif est d’imposer l’égalité hommes-femmes, de sortir du carcan de la différence sexuelle, qui est une dictature, puisqu’elle est imposée par la nature. Pour être libre l’individu doit pouvoir se choisir, libre d’adopter le genre, masculin ou féminin, ou autre, qui lui convient pour assumer son rôle social, son identité de genre et bien sûr en conséquence son orientation sexuelle. On comprend que les homosexuels aient adhéré à ce mouvement féministe à l’origine, c’est le même combat.
A la fin des années 90, la situation a encore évolué avec la théorie Queer : queer est difficile à définir, intentionnellement. Il ne s’agit plus de gays ou de lesbiennes, il s’agit d’être autrement, entre les deux pôles avec une connotation d’étrange, de singulier. Ce mouvement franchement subversif veut reformuler les rapports hommes-femmes dans la société, non plus en fonction des identités masculines ou féminines, mais en fonction de la volonté, du désir souverain de chacun. Le queer va donc plus loin, il propose de déconstruire l’identité de toute personne pour qu’elle se reconstitue à partir du seul choix individuel. On remplace donc l’identité sexuelle par des orientations sexuelles variées, qui pourront de plus changer au cours de la vie : ce que je choisis est permis puisque je l’ai choisi.
De tels aphorismes ne peuvent que décontenancer la majorité d’entre nous, surtout lorsqu’on en perçoit les implications. La nouvelle famille doit être polymorphe, recomposée, monoparentale, homosexuelle, etc.… La reproduction ne doit plus être subie par la femme, elle doit pouvoir recourir à toutes les techniques de l’aide médicale à la procréation, notamment les mères porteuses. L’homoparentalité va de soi et la théorie du gender reçoit l’appui du lobby gay. Le droit doit reconnaître toutes les formes d’union. Le droit à l’enfant amène à remplacer la parenté par la parentalité. L’A.P.LG. (association des parents gays et lesbiens) dit : nous souhaitons fonder le droit de la filiation sur l’éthique de responsabilité. Un parent n’est pas nécessairement celui qui donne la vie mais celui qui s’engage par un acte volontaire et irrévocable à être le parent… noble projet, mais bâti sur le sable et source évidente de conflits en cascade ; les juristes ont de beaux jours devant eux.
On voit les conséquences éventuelles, à tous les niveaux de la société, des théories (gender ou queer) qui réduisent l’individu à son orientation sexuelle, qu’il décide lui-même. Certaines Cassandre voient plus loin que nous et peut-être n’ont-ils pas tort de nous alerter. C’est au travers de détails insidieux, de modifications sémantiques, de propositions éducatives apparemment anodines, que des modifications sociétales considérables, éventuellement catastrophiques, peuvent être générées.
Il semble que la France n’ait pas été à la pointe de cette culture, beaucoup plus anglo-saxonne. Notre pays semble s’en émouvoir, et l’enseignement du gender prend place par exemple dans le programme de Sciences Po : cette école proclame d’ailleurs fièrement qu’elle est la première à le faire, ce qui est inexact. Mais il faut bien savoir communiquer…

Vous le voyez, l’orientation sexuelle est un vrai chantier. Peut-être n’ai-je pas su vous intéresser vraiment à un problème éloigné de vos préoccupations et de vos habitudes intellectuelles. Peut-être aussi est-il nécessaire qu’un aréopage multidisciplinaire comme le nôtre se familiarise en temps utile avec les évolutions importantes de notre société.
Je pense en conclusion que le moment est venu de nous pencher davantage sur le problème de l’homosexualité, qui a été jusqu’à nos jours singulièrement maltraité. Les homosexuels sont-ils aujourd’hui plus nombreux ? Non mais plus visibles et conscients de leur altérité. C’est l’honneur d’une civilisation comme la nôtre de les considérer d’un œil nouveau, plus scientifique peut-être, mais surtout plus humain. Les homosexuels, au-delà du fait qu’il y a des homosexualités et sans doute pour certains un véritable choix, sont soumis peu ou prou à un déterminisme biologique qui fait de l’homosexualité une variante de l’orientation sexuelle. Aurait-on l’idée de stigmatiser les gauchers parce qu’ils ne sont pas majoritaires ? Les homosexuels sont membres à part entière de notre communauté.
Tout n’est pas réglé ; comprendre n’est pas tout accepter, on ne doit pas tolérer le prosélytisme ni les provocations, éventualités toujours possibles lorsqu’une minorité opprimée accède enfin à la parité. Nous devons veiller attentivement à l’information de nos enfants, ni trop tôt ni trop tard ; la lutte contre l’homophobie est un objectif noble et doit rester un souci constant.
Alors, compréhension mieux que tolérance, vigilance à l’encontre des égarés sur le terrain de l’anarchie et surtout amour pour nos frères séparés.


Découvrir les autres lectures