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Hugues Salel, traducteur et poète quercynois

Lecture du 6 décembre 2018
par M. Jean-Louis ARNÉ

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Hugues Salel est né à Cazals petit village du Lot, en 1504. Son père y était notaire. Il fut baptisé par le curé Maynard, grand-oncle du poète François Maynard. Était-ce une prémonition ? Son père décéda alors que l’enfant avait à peine cinq ans et Hugues fut pris en charge par son parrain Raymond de Gironde, comte de Montcléra. Les Gironde, ayant remarqué ses qualités intellectuelles vont veiller tout particulièrement sur son instruction. Hugues fut envoyé à Cahors pour y poursuivre ses études. De 1516 à 1525, il fut boursier au collège Pélégry; cet établissement avait été fondé en 1365 par Raymond de Pélegry, chanoine de Cahors, qui légua ses domaines, ses maisons et sa bibliothèque pour permettre l’entretien et l’éducation d’étudiants peu fortunés.

Il recevait 17 boursiers-juristes dont 9 clercs étudiant en droit canon et 8 laïcs étudiant en droit civil qui tous fréquentaient l’université de la ville.
L’université de Cahors avait été fondée par le pape Jean XXII dans une bulle pontificale des ides de juin 1332 sous la forme d’un Studium generale, terme qui désignait depuis le début du XIIIe siècle un lieu où étaient accueillis les étudiants et où on enseignait les Arts ainsi qu’au moins une des grandes disciplines: Droit, Théologie, Médecine. L’université de Cahors jouit d’une grande réputation et d’une brillante prospérité pendant la fin du Moyen Âge et au cours des XVe et XVIe siècles.

Au XVe siècle en particulier, elle avait acquis une renommée et une importance exceptionnelle et compta jusqu’à 1500 étudiants venus de toutes les régions françaises et même de l’étranger; elle était fréquentée par d’illustres docteurs tels Antoine Peyrusse, futur régent en droit civil et Martin de Barambour, brillant professeur de droit canon. Au début du XVIe siècle, sous l’administration de prélats d’origine italienne, les Carreto et les Farnèse, elle offrit l’enseignement de maîtres prestigieux tel le théologien Martin Azpilcueta, Navarrais considéré comme l’un des plus grands intellectuels de son temps, auteur d’un ouvrage sur l’usure et la simonie et d’un traité sur les rentes ecclésiastiques. Y enseigna aussi le juriste toulousain Jacques Cujas ; celui-ci, né à Toulouse en 1522 dans une famille roturière mais aisée, fit dans sa ville natale des études d’humaniste puis de juriste. Il est à la Faculté de Toulouse, entre 1537 et 1544, l’élève de Du Ferrier, conseiller au parlement de Toulouse, ami de Bodin, jurisconsulte Angevin, qui alliait à une très solide maîtrise du droit romain la connaissance de l’hébreu. De 1544 à 1547, Cujas fortifie ses connaissances juridiques dans une retraite studieuse, puis, de 1547 à 1554, il assure un enseignement de droit romain à l’université de Toulouse. Il est d’autre part précepteur des deux fils aînés de Michel du Faur, juge mage à Toulouse. Maître du courant historiciste de l’humanisme juridique, il ouvre un cours de droit particulier en 1547 ; en dépit de ses immenses qualités, il est pourtant en 1554 évincé au concours pour une chaire définitive dans sa Faculté d’origine malgré un cours introductif très brillant sur les « Institutes » de Justinien, manuel traitant du droit romain antique. Son rival heureux, Étienne Forcadel, sans posséder l’envergure de Cujas, se révélera être un véritable humaniste qui sut retourner aux sources du droit romain. Cujas alors partit à Cahors ; il y rencontre le juriste humaniste Antoine de Gouveia, Portugais, maître régent à Toulouse, qui avait rejoint Cahors. De Gouveia contribua à fortifier Cujas dans la méthode historiciste qu’il appliquait au droit romain.

C’est donc un établissement d’enseignement prestigieux que rejoint le jeune Cazalais.

Hugues Salel réussit si bien à l’université de Cahors qu’il reçut de ses maîtres l’appréciation: « très habile dans les connaissances du grec et du latin », sans quoi on ne pouvait pas aspirer à la science des Belles Lettres.
Au collège Pélegry, Hugues Salel rencontra et fréquenta de 1516 à 1526 la famille d’Olivier Magny ; celui-ci était né dans une famille bourgeoise de Cahors d’un père magistrat et banquier et d’une mère très cultivée ayant la passion des lettres. Les Magny étaient les secrétaires attitrés de père en fils du célèbre collège cadurcien et c’est à l’ombre de ce collège que va se créer un lien durable entre Hugues Salel et Olivier Magny qui devait devenir son illustre secrétaire.

Étude, vie facile et heureuse, fêtes et cérémonies, tout se mêlait au collège pour la formation du futur poète; en effet, à cette époque, malgré les famines et les troubles passagers, une sorte de fastueuse abondance courait à travers la ville de Cahors. Rompant la monotonie des études et des exercices de dévotion, des fêtes éclatantes étaient organisées : c’était l’entrée magnifique des évêques avec le cérémonial du Moyen Âge, et le 28 février 1517 celle de Galiot de Genouillac, seigneur d’Assier, sénéchal de Cahors, grand maître et capitaine général de l’artillerie de François Ier et héros de la bataille de Marignan ; à cette occasion les seigneurs d’Assier, de Turenne et de Noailles poussèrent leurs équipages à travers les rues étroites de la ville. C’est au milieu de cette vie bariolée et tumultueuse que se formera celui qui, devenu poète favori du Roi, saura si bien chanter les fastes de la cour et ses pompeux cortèges.

En 1525, Salel quitte Cahors pour poursuivre à Toulouse une formation de juriste. L’université de Toulouse est particulièrement active, surtout par ses écoles de droit, qui auraient compté jusqu’à 10 000 étudiants. Le Parlement s’ajoutait pour former un milieu intellectuel beaucoup plus ample qu’aux siècles précédents.

Une révolution linguistique s’opérait à Toulouse. À la fin du XVe siècle, le français n’y était guère répandu en dehors de cercles très étroits: officiers royaux, parlementaires, artistes et libraires venus du Nord. Tout le monde parle la langue d’oc. Les documents sont presque tous en latin ou en occitan. Or, au premier tiers du XVIe siècle, et comme pour tout le reste du Languedoc, le français se répand rapidement à Toulouse, et l’emporte comme idiome littéraire et légal. C’est par un discours en français qu’en 1533 Blaise d’Auriol, docteur régent de l’Université et maître ès-jeux floraux accueillera le roi François Ier. Et le français s’impose aux Jeux floraux, le consistoire du Gay Saber devenant « le Collège de rhétorique et de poésie françaises » ; néanmoins, la langue d’oc reste très honorée à Toulouse et si le français a cessé d’être une langue étrangère il n’est en fait qu’une langue adoptive.

Salel va faire des rencontres particulièrement marquantes et déterminantes pour son avenir: il va gagner la faveur successive de deux Premiers présidents au parlement de Toulouse, Jacques Mynut, décédé en 1536 et Jean Bertrandi qui lui succéda et dont Salel va devenir le secrétaire et le protégé.

Jacques Mynut, né à Milan et naturalisé, docile instrument du roi, était aussi un fervent humaniste et qui savait le grec. Il contribuera à une véritable rénovation des études juridiques, avec d’autres hommes dont les écrits ont un peu hâtivement sans doute fait parler d’une « École de Toulouse » mais qui ont apporté une conception nouvelle des recherches juridiques, dans lequel on ne voit plus seulement l’étude ressassée des gloses de Bartole et d’Accurse, célèbres jurisconsultes Italiens, auteurs fort méritoires en leur temps mais on ressent à Toulouse un effort d’approfondissement qui achemine les juristes Toulousains vers une philosophie historiciste du droit et amène à parler d’humanisme juridique.

Le successeur de Jacques Mynut, Jean de Bertrandi, né à Toulouse, capitoul, Premier président du parlement de Toulouse, réside dans son hôtel de la Grande-rue Nazareth où il travaille avec Salel. Il devint ensuite, par la faveur de François Ier et sur l’avis d’Anne de Montmorency, Président du parlement de Paris avant d’être nommé garde des Sceaux par Henri II. À la mort de son épouse, il est entré dans les ordres et il va s’élever aux plus hautes dignités ecclésiastiques : évêque de Saint-Bertrand-de-Comminges, puis cardinal de Sens. Il est aussi ambassadeur extraordinaire de la France au sénat de Venise.

Le soutien de Jean de Bertrandi pour Salel fut indéfectible. Du Bellay dans un sonnet des «Regrets » fait allusion aux bienfaits dont Bertrandi avait comblé Hugues Salel :

« Entre tous les honneurs dont en France est connu

Ce renommé Bertrand des moindres n’est celui
Que lui donna la Muse, et qu’on dise de lui
Que par lui un Salel soit riche devenu »

La vie intellectuelle ne brilla jamais à Toulouse d’un aussi vif éclat. Au milieu des troubles, des événements tragiques que va provoquer l’éveil de la réforme, un large et ardent courant humaniste se faisait jour. L’université attirait des hôtes illustres et sont passés notamment tour à tour Guillaume Budé, Michel de l’Hospital, Étienne Dolet, Clément Marot.
Hugues Salel fut impressionné par la sombre violence de l’inquisition et il vit sa foi catholique s’affermir. C’est à cette époque qu’il adopta la devise « honneur me guide »
. Une rencontre va marquer son destin : Il va se lier avec le célèbre jurisconsulte et poète néo- latin Jean de Boyssonné. Celui-ci, né à Castres au début du XVIe siècle, étudie le Droit à Toulouse et il reçoit en 1526 la chaire qu’occupait son oncle. Outre un brillant succès à la faculté de droit de Toulouse, c’est un philosophe souriant, ennemi de l’intolérance; il devint célèbre par son esprit, sa science et ses poésies couronnées aux Jeux floraux dont il fut l’un des mainteneurs. Il fut l’ami de Marot et Rabelais a loué « le très docte et très vertueux Boyssonné ». Ses cours sont suivis par une jeunesse enthousiaste parmi laquelle il ne manque pas de noms célèbres tels Étienne Dolet, Michel de l’Hospital, le futur chancelier, et sans doute Michel de Montaigne, dont la mère, Antoinette de Lopez, était la fille d’un pastelier espagnol fixé à Toulouse.

Jean de Boyssonné a les idées larges. Il est « humaniste » avant tout par ses méthodes pédagogiques : il met la philologie et l’histoire à contribution dans l’étude du droit et il réprouve l’enseignement traditionnel fondé sur la stricte glose des juristes médiévaux.

Il se trouva mêlé à partir de 1531 aux troubles graves qui agitaient Toulouse et son université.

L’université de Toulouse, catholique et traditionaliste est alors en proie à une agitation extrême devant le succès du protestantisme. L’hostilité se manifeste non seulement face à la nouvelle religion, mais aussi à l’égard des nouvelles méthodes pédagogiques et de la nouvelle conception de la culture. La Faculté de droit est particulièrement touchée.

En 1531, soucieux de l’ordre public, le parlement interdit aux étudiants de porter des armes et de former des groupements. Dolet prononce un discours dans lequel il accuse de « barbarie » les magistrats de Toulouse. Outragés ceux-ci font arrêter Dolet. Au bout de quelques jours il est tiré de prison par le président Jacques Mynut mais il doit gagner Lyon et il est banni de la sénéchaussée.

Jean de Boyssonné était doté d’un « caractère quelque peu rugueux » Il se heurta à la répression terrible de l’Inquisition. On le jalouse, on le suspecte d’être attiré par la religion nouvelle – n’est-il pas l’ami de « mal sentants », tels que Clément Marot, Rabelais qui étudia à Toulouse en 1528 et 29, et surtout Étienne Dolet et aussi du réformateur allemand Melanchton, disciple de Luther, professeur à Wittenberg de passage à Toulouse, où il sera d’ailleurs emprisonné après de violentes disputes entre groupes d’étudiants.

Le 31 mars 1532, l’accusation d’hérésie est lancée contre 32 prévenus : professeurs, avocats, moines, prêtres, étudiants… la plupart s’enfuient.
 Jean de Boyssonné est condamné à la confiscation de sa maison, à une amende de 1000 livres et à l’abjuration publique sur un échafaud dressé devant la cathédrale Saint-Étienne, vêtu d’une robe grise et la tête rasée, au cours d’une cérémonie organisée par l’Inquisition ; un de ses élèves, Jean de Caturce de Limoux, bachelier en droit civil, qui a refusé de se rétracter dans une leçon publique, est condamné à être dégradé de ses titres et de son état ecclésiastique, puis brûlé Place du Salin. Vingt autres condamnations au feu ou à des pénitences publiques sont prononcées alors.

Jean de Boyssonné dut s’exiler en Italie. Il ira notamment à Padoue et Turin avant de regagner Toulouse en 1536 et de devenir régent de l’université. Il participe alors activement aux fêtes données pour l’entrée du roi François Ier dans Toulouse et à la réception particulière offerte à cette occasion par l’université le 1er aout 1533.
En 1534, il est à nouveau accusé de fomenter des violences estudiantines. Il est condamné à la prison par le parlement de Toulouse. Il se décide à implorer la grâce de la cour de Fontainebleau et gagne le procès en appel auprès du Grand Conseil de François Ier.
 En1539, on lui propose le poste de secrétaire de l’ambassadeur de France à Venise mais il préfère devenir conseiller au nouveau parlement de Chambéry.
 Il retournera épisodiquement à Toulouse pour siéger aux Jeux floraux.
L’amitié qu’il avait pour Hugues Salel était profonde et il exprimait en vers combien celui-ci lui manquait lorsqu’il accompagnait Bertandi dans ses déplacements :

Il est donc fait Salel que tu nous laisses
Pour t’en aller avec le Président

Mais tu ne sais combien de cœurs tu blesses
De tes amis marris de l’accident
Lesquels voudraient que tu fus résident

Sans te partir jamais de ce quartier

C’est à cette époque que Salel, comme pour se détourner des spectacles d’agitation, va composer ses premiers poèmes. Mais il se fit surtout connaître alors pour un travail réalisé lors d’un passage à Lyon où il accompagnait Boyssoné: il avait rencontré Rabelais à Toulouse et il rédigea une préface sous forme d’un dizain pour l’édition du Pantagruel.

Il est remarquable de constater combien Salel perçoit bien, sous l’apparence de la farce, la tension morale et satirique de l’œuvre de Rabelais:
« En ce livret, sous plaisant fondement,
L’utilité a si très bien décrite

Qu’il m’est avis que vois un Démocrite 
Riant les faits de notre vie humaine. »
La publication de ce dizain assura déjà à Salel une certaine renommée, liée au grand succès de l’ouvrage de Rabelais.
Lors de son long séjour à Toulouse, Salel a largement profité des riches apports intellectuels et culturels de ce milieu brillant ; sa fibre poétique va s’affirmer et quelques-uns de ses poèmes encore manuscrits circulaient parmi les lettrés et lui valaient leur admiration.
Par persuasion ou par contrainte, à la vue des massacres de l’Inquisition, la foi catholique s’affermit dans l’esprit de Salel. Il s’écarta de cet esprit d’audace révoltée qui devait conduire Étienne Dolet au bûcher et Marot à l’exil. Il préféra se tourner vers les grâces de l’imitation antique.
Il semble aussi avoir été sensible à l’exaltation de la vie frivole qui régnait dans la ville. La vie estudiantine Toulousaine y est agitée comme le relate Rabelais dans son Pantagruel : 
« Il y apprit fort bien à danser et à jouer de l’épée à deux mains comme est l’usage des écoliers de la dite université. »
 Et Jean de Boyssoné, au départ de Salel de Toulouse, lui rappellera dans un ironique dixain une certaine aventure :

« J’en connais une à laquelle avant-hier

J’ouïs regrets et plaintes de toi faire ;
Sans la revoir si passes l’an entier »


C’est en 1534 qu’il publia sa première œuvre importante: un long poème intitulé: « Le dialogue non moins utile que délectable auquel sont introduits les dieux Jupiter et Cupido tout disputant de leur puissance ». Dans cette œuvre l’influence déjà profonde de Marot est attestée, lui qui avait offert en 1515 au roi son poème : « Le temple de Cupido » Le sujet en est facile et assurément banal. Salel imagine qu’un jour, désireux de chercher l’oubli de ses maux, il s’enfonce sous les bois ; Jupiter et Cupido lui apparaissent et se disputent quant à leur puissance. Cupido conseille à Jupiter et aux hommes comme antidote aux dangers des aventures amoureuses le travail et l’abstinence qui, selon lui: « chassent désirs et folle voluptés. »

En 1536, Hugues Salel contribua à l’hommage rendu au dauphin François. Celui-ci partait rejoindre son père à l’armée qui s’opposait à l’invasion de la Provence par Charles Quint. Le Dauphin a quitté Lyon. Peu avant Tournon, le 10 août 1536, après une partie de paume, il prend un verre d’eau glacée que lui présente son écuyer Montecucculi; pris aussitôt d’un malaise, il parvient cependant à gagner Tournon où il rend le dernier soupir après quatre jours de terribles souffrances. François prendra la route de Lyon où Montecucculi enchaîné, a été conduit. Sous la torture il reconnaît – ce qui bien sûr ne prouve pas grand chose – avoir fait absorber de la poudre d’arsenic au dauphin. Accusé d’être venu d’Italie afin d’empoisonner le roi de France sur l’ordre de Charles Quint, Montecucculi est déclaré coupable et condamné à être écartelé par quatre chevaux.
Salel composa une Églogue marine sur le trépas de feu Monsieur François de Valois, dauphin de Viennois, fils aîné du roi.
Il y fait dialoguer dans des chants funèbres alternés, et en des vers souvent inspirés du grand poète italien Iacopo Sannazzaro, deux des grands poètes français du temps : Mellin de Saint- Gelais et Victor Bourdeau, tous deux amis de Clément Marot, auxquels pour la circonstance il prête l’apparence de pêcheurs :

Chantons nous deux ici sur l’herbe verte
En déplorant à voix douce et ouverte
Le beau dauphin, le gouverneur de l’eau.
La mort nous a détroussés et pillés
Pris notre avoir, notre joie abolie
Chantez mes vers, chantez mélancolie,
Tout le pays de plaindre s’accoutume,
Sans nul espoir de recouvrer liesse,
Plus n’est aucun qui feu de joie allume
Chantez mes vers, chantez deuil et tristesse.

La référence à Marot est évidente, et pas seulement par le choix des compétiteurs; mais l’influence italienne, les allusions à la mythologie, dessinent une autre orientation qui annonce Ronsard et sa brigade. Ce poème assigne à Salel une place de choix dans le renouveau du panégyrique funéraire.
 Dans la même veine, Dolet et Salel se fréquentèrent dans les années 1530, et en 1537, et ils composèrent tous deux une épitaphe en l’honneur de Madeleine de France, Dolet en néo-latin et Salel en français.

Le roi François Ier nomma le président Bertrandi Troisième président du parlement de Paris en 1538 puis Premier président du même parlement en 1550; il était bien naturel que le secrétaire suivit son maître à Paris et fut par lui et à ses côtés introduit à la cour. On imagine aisément le poète de Cazals s’élevant peu à peu dans la faveur de ses protecteurs et conquérant dans ce milieu brillant la finesse et le goût délicat que Marot demanda à la cour, qu’il appelait « sa maîtresse d’école ».

Dès lors, il est indéniable que la fortune d’Hugues Salel fut brillante et le plaça rapidement au premier rang dans le crédit du roi dont il devint le poète favori. Tout d’abord valet de chambre ordinaire, il devint bientôt grand maître de l’hôtel du Roy. La faveur royale à l’égard de son poète ne s’arrêta pas là et il allait le gratifier des revenus de l’abbaye de Chéron, dans le diocèse de Chartres. Il le pourvut de bénéfices qui, sans le tenir éloigné de la cour, lui assurèrent la plus large indépendance matérielle et même un train de vie relativement fastueux.
En 1546, le roi fit don à Hugues Salel du doyenné électif de l’église collégiale de Burlat, dans le diocèse de Castres, qui était vacant.

Cette consécration résulte de la caution apportée à ses poèmes qui furent en majorité à cette époque des poèmes de commande ou de circonstances.

Au moment où Hugues Salel est introduit à la cour, la décadence de François Ier a commencé. Saisi dès 1538 d’une maladie mystérieuse, le Roi est revenu à Compiègne et y reste pour soigner un abcès qui, écrit Michelet, le mit à la mort. En effet, le 20 septembre 1539, il annonça à son ambassadeur à Londres « je vous avise que j’ai été bien fort tourmenté d’un rume qui m’est tombé sur les génitoires et vous assure que la maladie m’en a été autant ennuyeuse et douloureuse qu’il n’est pas croyable »; il s’agissait en fait d’un abcès du périnée d’origine syphilitique qui emportera un jour le roi.

Pourtant, alors qu’il commence à se rétablir, un courrier lui apporte une nouvelle : Charles Quint, avec lequel il croise le fer depuis plus de 15 ans, en raison des prétentions du roi de France sur le duché de Milan, et qui vient de subir un sérieux revers à Alger devant les Turcs, va être informé de la permission que François lui avait adressée dernièrement de traverser la France: en effet, les bourgeois de Gand s’étaient révoltés contre l’empereur car ils refusaient de nouvelles impositions. Charles Quint, dont la sœur Éléonore d’Autriche était l’épouse en deuxièmes noces de François Ier, a sollicité du roi de France le libre passage dans ses États pour aller châtier les rebelles en Flandre. La cour était divisée et beaucoup conseillaient le refus ou la ruse. L’influence du connétable Anne de Montmorency prévalut.

Charles, après bien des hésitations, résolut d’entreprendre ce voyage aventureux. François Ier décida d’envoyer à Saint-Jean-de-Luz au-devant de son impérial beau-frère le connétable et ses deux fils. Hugues Salel, de la « chambre du Roy », fut chargé de suivre les deux princes et d’escorter l’Empereur. Un chroniqueur raconte que le 27 novembre 1539, le jeune duc d’Orléans saute sur la croupe du cheval de Charles Quint et saisit le cavalier à bras le corps en criant : «César, César, vous êtes mon prisonnier ». L’empereur très surpris aurait éclaté d’un rire un peu jaune. À Bayonne c’est le dauphin Henri qui accueille avec plus de réserve son ancien geôlier.

La présence pacifique de l’empereur constitue une véritable occasion de fête. Chaque jour on banquette. Le Cahors, vin préféré de François coule à flots. C’est Galiot de Genouillac qui le lui avait fait découvrir.
Pour célébrer l’occasion du passage impérial, le poète compose une série de pièces, véritable cycle qui se recommande autant par l’adresse politique que par les mérites littéraires. Parmi ces pièces de circonstance, la plus importante est incontestablement la célèbre « Chasse

Royale » présentée à Charles Quint et à François Ier lors de l’entrée de l’empereur à Paris, le 1er janvier 1540.
C’est aussi un moment de réflexion délibérative, et Salel travaille à en faire une illustration digne de tout ce que le moment comporte d’exceptionnel. Aussi en profite-t-il pour revendiquer, par la majestueuse gravité de ses vers, un statut de voix politique autorisée.
La mode était alors aux Rhétoriqueurs et Salel sera fidèle à leurs procédés: un événement, parfois historique est replacé dans un contexte mythologique. Un personnage important ou un mécène y est intégré de façon à recevoir un éclairage favorable.

La pièce célèbre la suppression des hostilités entre François Ier et Charles Quint. Elle décrit sous forme allégorique l’effort du Roi de France et de l’Empereur pour vaincre ensemble l’ennemi Discord, sanglier féroce qui, ayant déjà sévi furieusement en Italie, se prépare à descendre sur la France et sur l’Espagne.

Salel nous montre Mars, jaloux de la paix dont jouit l’Europe, descendant aux enfers pour réclamer des Dieux infernaux l’envoi d’un fléau terrible sur la terre. Alors nous voyons surgir du profond des abîmes une bête hideuse

« Fière au marcher, les yeux rouges et ardents
La gueule grande, et grand nombre de dents »


C’est le sanglier Discord, « hors des enfers bouté ». C’est lui que vont poursuivre l’Empereur et le Roi associés. François Ier organise donc une chasse royale à laquelle assisteront les plus grandes figures politiques de la France et de l’Europe, avec Charles Quint à la tête du cortège. Après l’éloge du Roi de France, une centaine de vers décrivent le noble défilé qui se forme dans l’intention d’unir les forces en présence pour une cause salutaire : affronter leur fléau commun, ce sanglier Discord.

Malgré la prolifération de « chasses » poétiques à la fin du Moyen Âge, Salel choisit sa thématique sans doute moins pour se conformer aux modes littéraires du temps que dans l’espoir de plaire au Roi dont la prédilection pour la vénerie était bien connue. Salel présente un tableau poétique des nouvelles relations franco-impériales où, tout en flattant les exigences d’une diplomatie adroite, il présente le Roi en position de maître incontesté.

Pour des raisons de diplomatie et d’intérêt, l’éloge est double : tout en accordant un rôle héroïque à Charles Quint, Salel ne manque pas de chanter la louange de François Ier. Le prétexte en est un décret divin : les dieux ont décidé que « deux puissants rois » doivent briser la terreur que Discord inflige à toute l’Europe. Ce pouvoir décerné aux deux monarques sera d’autant plus nécessaire que les dieux craignent le pire, car « main humaine » leur paraît trop faible pour «venir à bout » du sanglier effroyable. Mais Jupiter, roi des dieux, a su prévoir quel roi terrestre en serait capable avant tout autre, prêt à « si beau pour voir ». Salel nomme d’abord le Roi de France :

« C’est un grand roi, duquel la renommée
Par temps jamais ne sera consommée,

Un roi français, duquel le bruit croitra
Tant que le ciel sur nous apparaitra.
François pour vrai, franc, vertueux et doux,
Un roi de qui les vertus et louanges
Ont étonné les nations étranges, »

L’allégorie passe au second plan ou plutôt se vivifie de tous les détails de vénerie dont est rempli le poème. Finalement, le sanglier acculé à un chêne est frappé au cœur par l’épieu redoutable du Roi de France.
Le « noble exploit » du roi et de l’empereur dépasse les plus hauts faits de l’Antiquité littéraire :

« Quel Hercule, quel Jason, quel Thésée,

A entrepris une œuvre tant prisée »


La convergence représente bien plus qu’une stratégie esthétique. Elle comporte une réponse à l’état d’urgence politique qui menace l’Europe.
Salel rappelle aux augustes chasseurs le but de leur entreprise : il faut ramener « le doux repos par longtemps espéré. » 
Salel revendique pour la poésie – sa poésie – une voix dans le domaine politique. Montrer Charles Quint à la tête d’un appareil qui obéit à l’appel du Roi de France, c’est confirmer cette relation de complicité entre voix politique et voix littéraire qui sera pour les poètes de la Pléiade, et pour Ronsard surtout, une nécessité. Salel annonce que la paix entre François Ier et l’empereur suffit pour mettre « la chrétienté hors de toute souffrance », car elle élimine la menace de Discord, le sanglier dont les violences faisaient la terreur du continent entier.

«O bien venant de céleste bonté,
O jour heureux, qui les deux assembla,
Dont on a vu le Sanglier dompté,

Sous qui jadis tout le monde trembla. »

Salel s’aventure même, dans les derniers vers de la pièce, à fournir aux hommes puissants une suggestion quant à leur politique :

« Si vous supplie tous deux à jointes mains,
Roys très puissants, les plus grands des humains,

Puisque l’amour vous a unis ensemble,

Que faux Discord plus ne vous désassemble,

Et s’il advient que vous tiriez l’épée,

Que cela soit en la terre occupée

Par le grand Turc, ennemi de la foi,
Faisant exploit d’empereur et de roi »

Ainsi, la poésie participe à un engagement, elle est intimement complice des initiatives du pouvoir.
L’importance politique de la « Chasse Royale » fut notable et l’œuvre suscita les remarques admiratives des contemporains. Rapidement, Salel devint un poète de renom : l’éclat de son succès correspond en quelque sorte au caractère solennel du sujet qu’il traite dans la pièce d’occasion qui s’avéra si cruciale pour sa carrière.
Poète de cours, Salel sut accorder le sens de la dignité et de la fierté naturelle des Muses avec le culte de la monarchie et la célébration obligée de ses fastes.

Il sut se garder de l’excès de mignardises galantes et de préciosité où tomba souvent Mellin de Saint Gelais son rival à la cour, surtout célèbre par la querelle qui l’opposa à Ronsard dont il a voulu briser l’image auprès du roi et qui lui valut de Joachim du Bellay la cruelle satire qualificative de « Poète courtisan »

Salel sut éviter aussi la complaisance souvent servile de Ronsard qui, de 1561 à 1571, au moment de sa grande faveur à la cour de Charles IX plia trop souvent son génie altier à la confection de cartels pour les fêtes de Fontainebleau, les combats équestres en forme de ballet ou des mascarades pour le Roi habillé en Mercure.

Une preuve supplémentaire de la haute faveur dont jouit Hugues Salel est fournie par l’analyse des privilèges accordés à sa traduction parue en 1545 à Paris des 10 premiers livres de l’Iliade d’Homère, Prince des poètes.
Sous l’influence de Guillaume Budé, qu’il avait nommé intendant de la bibliothèque royale, le roi, fortement attaché à l’Art et aux Lettres avait lancé une vaste entreprise de collecte de manuscrits anciens, grecs surtout. Venise était le plus grand centre pour le commerce des manuscrits grecs qui y avaient été amenés par les exilés de Constantinople. Tous les diplomates français en Italie furent mis à contribution notamment Georges d’Armagnac, évêque de Rodez et futur archevêque de Toulouse et d’Avignon à qui l’on doit la surprenante lanterne et la statue flamboyante de la vierge qui est juchée au sommet de la cathédrale de Rodez.

La bibliothèque royale compta plus de 500 manuscrits anciens, grecs mais aussi latins et hébreus qui furent progressivement reliés et font aujourd’hui partie des trésors de la Bibliothèque Nationale de France.
C’est dans ce contexte que Salel entreprit la traduction de l’Iliade, que le Roi « lui a par ci- devant commandé de mettre en vers françois ».

Le fait de demander à Hugues Salel de traduire l’Iliade en français ou au peintre Le Primatice de décorer une galerie du château de Fontainebleau avec comme thème l’Odyssée prouve l’importance que la mythologie et plus particulièrement Homère avait pour lui.
Le privilège royal qu’obtint Salel pour son édition en 1545 définit clairement le droit d’un écrivain et de son traducteur contre toute altération du « sens des sentences contre l’intention de l’auteur et la diligence du transmetteur. » Il s’agit pour François Ier non seulement de permettre l’accès du public cultivé, notamment des lecteurs du Collège Royal, à une œuvre majeure mais aussi de prouver que le français est propre à recevoir et à exprimer la grande poésie.

Le rôle des traducteurs était au XVIe siècle beaucoup plus important qu’il ne l’est devenu par la suite. Une traduction est une œuvre rude et utile qui avait alors souvent plus d’influence et autant de valeur qu’une œuvre originale.
Un huitain précède ce manuscrit, chantant la gloire d’Homère :

« Il a été divin et admirable
Parfait en tout, n’ayant faute de rien
Hors d’un grand roi, à vous Sire semblable,
Pour le nourrir et lui faire du bien »
Il va ensuite entreprendre de définir le génie d’Homère: il pense qu’Homère « fut le premier par qui Dame Nature fait aux humains libérale ouverture de ses secrets ».
Et Salel considère que la partie épique de l’Iliade peut être un excellent enseignement pour un guerrier et même un roi. Il dit :

« On y apprend à villes assiéger

Et ses souldards camper et diriger,

Tout y est clair ; bref,
c’est un miroir d’armes »

Salel, au fur et à mesure de l’avancement de sa traduction, en offrit les manuscrits à François Ier. Il y eut huit livraisons. Trois sont aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France, deux à Chantilly, une à Leyde. Les deux autres font peut-être le bonheur depuis plusieurs générations de collectionneurs discrets.

François 1er expira le 31 Mars 1547.
Hugues Salel jouissait aussi de la faveur de Marguerite de Navarre dont il fut véritablement le héraut puisqu’il répondait en son nom à tous les poètes qui lui adressaient des vers. Quelques mois après la mort de François Ier, Marguerite de Navarre, « corps féminin, cœur d’homme, tête d’ange » comme la définissait Marot, mariée en 1527 en secondes noces à Henri d’Albret roi de Navarre, mourait à son tour au château d’Odos dans le pays de Tarbes le 21 décembre 1549. Avec elle disparaissait la dernière protectrice de Salel.

La mort de François Ier en 1547 puis de sa sœur deux ans plus tard et la mise à l’écart par Henri II, sous l’influence de Diane de Poitiers, de la plupart des écrivains qui avaient illustré le règne précédent, conduisirent Salel à se retirer dans son abbaye. 
Il avait auparavant accueilli à Paris son jeune compatriote Olivier de Magny, qui lui avait été envoyé par l’évêque de Cahors et était arrivé après un voyage d’un mois à cheval, et qui va perfectionner auprès de Salel ses aptitudes naturelles à la poésie.

Au printemps 1553, alors que Magny revenait d’un séjour en Italie, voyage où il avait fréquenté Joachim du Bellay et au cours duquel il avait rencontré la poétesse Louise Labbé, « la Belle Cordière » dont il était tombé amoureux, parut son premier recueil, Les Amours où il célébrait, dans la veine de Pétrarque, et sans grande originalité il faut bien le dire, les rigueurs et les délices de l’amour. L’œuvre était dédiée à « Monseigneur de Saint- Chéron, le divin Salel ».

Ces décès de François Ier et de sa sœur vont induire d’importants changements dans le milieu littéraire.
Brantôme, dans sa Vie de Henri II le laisse entendre, parlant de la réputation grandissante de l’école de Ronsard auprès de la nouvelle cour, tandis que tombaient dans un discrédit relatif les poètes de l’école de Marot, Salel, Mellin de Saint-Gelais et Victor Brodeau.

Salel eut le don, fort rare alors, de ne se fâcher avec personne, pas même avec les jeunes Ronsard et Du Bellay.
En outre, des protecteurs nouveaux se déclarèrent en faveur de l’illustre traducteur de l’Illiade, notamment Monsieur Jean du Thier, secrétaire d’État de Henri II et contrôleur des Finances, et d’ailleurs Ronsard lui rendra hommage d’avoir été le mécène du poète.

Salel mourut à 49 ans en 1553 à Saint-Chéron où il vivait avec sa mère.
Olivier de Magny son secrétaire, son ami, son disciple qui l’avait accompagné jusqu’à la fin, invita ses amis à s’incliner sur la tombe de celui dont Clément Marot avait dit dans un rondeau célèbre :

Honneur te guide et te met en hautesse
Pour ton grand sens et ta science acquise.


Étienne Jodelle, célébrant le pays qui avait donné aux lettres dans le même siècle d’aussi grands poètes, Marot, Jean du Pré, Olivier Magny, François de Vernassal, Guillaume du Buys qui fut , comme Marot, lauréat de l’Académie des Jeux floraux, adressa ce huitain qui fut gravé sur la pierre du tombeau de Salel :
Quercy m’a engendré, les neuf sœurs m’ont appris
Les rois m’ont enrichy, Homère m’éternise
Après la mort de Salel, Magny publiera les onzième et douzièmes livres de l’Illiade traduits par Salel.
Mais aussi Magny a livré au public d’autres poésies de Salel qui étaient cachées au fond d’un coffre appartenant à son maître. Et ceci a révélé un visage inconnu jusque-là : le Salel des poèmes amoureux.
 Car on oublie trop souvent sa poésie charmante et inventive. Hugues Salel n’est pas un poète austère ; tout ce qui touche à l’humain l’intéresse. Il écrivit des poèmes amoureux parfois érotiques très appréciés de la Reine de Navarre et de son entourage. C’est précisément dans ces pièces qu’Hugues Salel semble sans doute avoir été le mieux inspiré, et c’est sûrement celles-là qui forment la partie la plus vivante, la plus sensible et pour tout dire la plus délicate de son œuvre.
Il explore de nouveaux secteurs pour la poésie, d’une façon concrète ; ainsi le corps est important dans le symbolisme amoureux.
 Sa description de la main de Marguerite m’apparaît comme un chef-d’œuvre :

« Plume, vous travaillez en vain
En voulant comparer la main

De ma dame à mortelle chose,
Soit lis, ivoire ou blanche rose,

Pour ce que, quand Amour prétend

De rendre l’œil humain content,

Ne peut montrer objet plus digne,
Ô main jolie, ô main divine,

Main, qui n’a ta pareille en terre,

Main, qui tient la paix et la guerre,
Main propre pour le cœur ravir,

Et puis le contraindre à servir,

Main portant la clef pour fermer
Et ouvrir l’huis de bien aimer,

Main plaisante, main délicate,
Je n’oserais te dire ingrate ;

Tu peux blesser, tu peux guérir,
Tu peux faire vivre et mourir,

Main qui retiens, main qui dépars
Main qui fends mon cœur en deux parts. »

Salel adopte parfois l’art raffiné d’un Pétrarque pour décrire la beauté physique de la femme qu’il se plaît à chanter :

« O corps divin ! O la perfection

De ce que peut ici montrer nature
Pour nous tirer admiration »


La Canzoniere, recueil de 366 poèmes de Pétrarque est en effet devenu pour l’élite intellectuelle de France un livre de chevet, un code de l’amour courtois qu’il eût été déshonorant d’ignorer surtout à la cour.
Et Salel sait faire avec grande élégance parler sa tristesse d’amoureux déçu traversant un bois.

« Rossignols qui faites merveilles

De jergonner par ces verts bois,
Ne remplissez plus mes oreilles

De si douce et plaisante voix.

Puisque voyez que je m’en vais

Aux lieux où joie est endormie,

Chantez, s’il vous plaît, cette fois
Le triste départ de m’amie. »


Qui était cette cruelle Marguerite ? On pense qu’il s’agit d’une Quercynoise, Marguerite de Gourdon, vicomtesse de Cardaillac, demoiselle d’honneur de Marguerite de France. On sait en effet qu’un jour Salel chargea la secrétaire de Madame la Dauphine, Claude de Plays, d’intercéder en sa faveur.
 Dans ses textes amoureux, Salel montre une élégante réserve, et même une préciosité parfois que l’on retrouve chez Mellin de Saint Gelays, mais bien loin de Marot, chez lequel l’amour courtois est bien souvent sali, selon l’expression de Saint-Beuve, « de grosses gouttes de lie rabelaisienne ». Chez Marot souvent la verve le dispute à la licence, l’exaltation souvent grossière de la femme relève d’une fougue sinistre et puissante. On connait de Marot le blason du beau Tétin et le contre-blason non moins célèbre du laid Tétin.
Et Salel qui a rivalisé de ferveur amoureuse avec Marot rivalisera d’élégance avec Mellin de Saint Gelais.
 Dans ses blasons, Salel, ayant un penchant sensible vers le Pétrarquisme et plus éclairé que Marot sur l’antiquité, s’est détaché de son influence en s’orientant progressivement vers une poétique toute personnelle et une rythmique nouvelle qui allaient quelques années plus tard être celle de la Pléiade.
 Et il est aussi émouvant de sentir chez Salel une philosophie de vie et une heureuse résignation à l’apparition de la vieillesse.


« Il n’est pas dit que toujours faille écrire

Propos d’amour et matière joyeuse
Communément l’homme change de désir
Et longue joie est souvent ennuyeuse.

Qui veut savoir combien paix est heureuse,

Hanter lui faut, guerre, noise, et, contents,

L’on juge aussi jeunesse vigoureuse

Quand on est vieux : toute chose a son temps. »

Ainsi, né dans la rhétorique, comme un bon juriste qu’il est, marotique dès qu’il accède à la poésie, humaniste comme on aime à l’être dans le Toulouse du XVIe siècle, courtisan aimable comme Marot lui-même, Salel n’est pas défini par ces seules références ; il possède en propre la limpidité de sa langue, la précision, une ingéniosité sans pédantisme qui donnent à son œuvre un ton original.

Il utilise aussi volontiers les formes longues telles que le dialogue, le chant poétique ou l’églogue, que le blason, le dizain, l’ode ou le sonnet.

Mais surtout il cherche à renouveler le répertoire métaphorique et c’est cela qui donne à sa poésie une grande modernité.


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